lundi 7 novembre 2011

14 - 15 - 16 - 17

14
Je rentrai à Paris ventre à terre pour me rendre immédiatement aux Editions Jean-Daniel. Un conseil de guerre m’attendait de pied ferme, les bras croisés et l’œil mauvais. Le président, le directeur, le président-directeur-général, le responsable de la collection, ils étaient venus ils étaient tous là entourés d’un bataillon d’avocats. Il fallut presque maîtriser De La Roche pour qu’il ne m’éventre pas avec le délicat coupe-papier en ivoire posé négligemment sur son bureau, mais rien ne l’empêcha de me traiter de jolis noms d’oiseaux tous plus colorés les uns que les autres.
Je n’entendais rien à cette affaire, et leur fis part de ma surprise. On m’expliqua :
Une - donc - dénommée Francine Moileux jurait sur ce qu’elle avait de plus précieux être l’auteur de Manderbly. Elle avançait qu’un jour, dans le métro, un sinistre individu lui avait volé son sac et par la même occasion son argent, ses clés, son carnet de chèques, et une clé USB contenant les trois-cent soixante-sept pages des Mystères de Manderbly qu’elle avait écrites en suant sang et eau. Elle affirmait que l’auteur du délit avait changé quelques noms et transformé la fin, mais qu’à part ces détails, les deux livres étaient identiques. Son mari, ses parents, ses amies, sa coiffeuse, tout le monde confirmait ses propos.
- Avouez la vérité dès maintenant, Bandini, me proposa De La Roche avec toute la patience qu’il avait pu retrouver, dites la vérité et nous ne porterons pas plainte...
- Vous n’aurez qu’à rendre l’argent que vous avez touché, ajouta un avocat qui ne s’était même pas présenté, et l’affaire en restera là ; nous nous occuperons du reste.
Je me dressai contre ces odieux pyrrhonismes. Emu aux larmes comme un écolier passant en conseil de discipline pour une faute qu’il n’a pas commise, j’assurai Jean-Daniel de ma bonne foi, enjoignant la compagnie à ne pas croire ces calomnies, jurai sur ma vie, sur ma tête, sur la tombe de Shakespeare que j’étais le seul et unique créateur de mon œuvre. J’arguai qu’il serait facile de confondre la vilaine, et je les suppliai tandis que ma voix se brisait par l’émotion de me croire et de me faire confiance.
Une atmosphère de dubitation s’installa dans la pièce. On me regarda, on se regarda, et l’affaire, pour le moment, en resta là. On me conseilla, néanmoins, de prendre mon propre avocat.
Ce que je fis.
Maître Verdier du barreau de Paris accepta de me défendre, et m’assura que l’affaire n’irait jamais jusqu’au procès. Je faillis lui baiser les pieds, qu’il avait petits mais très bien chaussés.
Après être entré en contact avec mon éditeur, ce brave Verdier (dont les honoraires étaient tout de même assez élevés) demanda une enquête judiciaire. Alors, tandis que je procurai la date, preuve à l’appui, du dépôt de mon œuvre à la SGDL (qui est l’équivalent littéraire de la SACD ou de l’INPI, cela va sans dire), la Moileux dut attester ses allégations, mais ne le put.
Tout ce que la poufiasse pouvait montrer, c’était le texte de mon livre, entièrement rédigé sous la forme de document Word avec, de-ci de-là, quelques noms propres modifiés par rapport à ma version, la seule, l’unique, l’authentique.
De plus, la fin de son roman, totalement inepte, semblait indiquer que le meurtrier de la splendide et richissime Kathleen Beaumont (car tel était le nom, ridicule, de son héroïne) n’était autre que le palefrenier alors que celui-ci, au fil des pages, avait un alibi absolument inattaquable.
Un juge, ne faisant que son travail mais le faisant bien, jugea que les arguments de la Moileux étaient sans fondement, et rejeta sa plainte.
Je poussai un grand ouf de soulagement, et félicitai chaleureusement Maître Verdier.

Pour fêter la victoire de la vérité sur l’ivraie, mon éditeur organisa une petite fête. De La Roche me présenta ses plus plates excuses, et je les acceptai.
Mais quelque chose venait de se briser. La confiance que j’avais accordée à Jean-Daniel se trouvait entachée par le souvenir douloureux de leurs accusations et de leurs doutes.
À partir de ce jour, plus rien ne fut comme avant.


15
Tout était rentré dans l’ordre. Pour un court temps. Car la plainte déposée par Francine Moileux ne fut que la première d’une longue liste ; le succès, telle une médaille dorée, a son revers, et il n’est pas brillant. Je ne tardais pas à m’en apercevoir.
Plusieurs associations anti-racistes ouvrirent le bal ; dans mon roman, l’un des protagonistes principaux parmi les plus méchants était afro-américain, et l’on cria haut et fort que mon livre donnait une mauvaise image de la communauté noire, me traitant de raciste et de xénophobe, alors que dans mon esprit d’homme bon, juste, ouvert et tolérant, un noir pouvait être aussi con que n’importe quel blanc.
Puis les associations lesbiennes, gays, bis et trans se dirent scandalisées par l’image négative que je donnais de leurs communautés par le biais de Bruce Baxton, assistant du procureur ouvertement homosexuel et prêt à toutes les bassesses pour détruire la famille Woodward. Je ne savais pas si je devais en rire ou en pleurer, et en tant qu’attaché de presse de Madeleine Vanderbilt, je dus me justifier à sa place, jurant qu’elle était ouverte et tolérante et que pour elle, un gay pouvait être aussi bête et méchant qu’un hétéro.
Dans un tourbillon se transformant petit à petit en tornade de Force 5, ce fut au tour des Alcooliques Anonymes de traîner Madeleine Vanderbilt en justice, outrés de la mauvaise image qu’elle donnait des ivrognes par l’intermédiaire d’Ava Woodward, sœur du héros et poivrote notoire en constant échec de réhabilitation. Je choisis d’en rire.
Les premières plaintes de la mairie de Sunset Beach (riante cité côtière des Youéssés où j’avais planté l’action de ma saga) arrivèrent ensuite : les Sunset Beachois étaient outrés par l’image négative, que je donnais de leur jolie petite ville. À ce stade, les larmes commençaient à me monter aux yeux.
Les associations parentales ne tardèrent pas non plus à se manifester, horrifiées par les nombreuses pages remplies de sexe, de stupre et de luxure, demandant l’interdiction pure et simple de mon livre. Le Prozac m’aida à tenir bon.
Le tour des associations pro-vie vint alors. Ecœurée par Afton Woodward (fille aînée de Perry Woodward et ayant avorté car n’étant pas certaine de la paternité de l’enfant qu’elle portait), la joviale compagnie des Laissez-les vivre manifesta des jours entier au siège des Editions Jean-Daniel, brandissant hystériquement des crucifix, badigeonnant furieusement les murs extérieurs de l’immeuble de faux sang et de fœtus bidons. Jean-Daniel, tout d’abord ravi de tant de publicité gratuite, commençait à s’en trouver contrit. Quant à Maître Verdier, il se commanda une piscine et une véranda.
Si l’on compte, de plus, les deux procès pour atteinte à la vie privée qui venait d’arriver (une milliardaire et un jet-setteur s’étaient reconnus dans mon livre et demandaient une somme astronomique en guise de dédommagement alors que je n’avais jamais entendu parler d’eux) et la grogne montante des lecteurs voulant connaître la suite et soupçonnant Madeleine Vanderbilt de ne pas savoir elle-même qui avait assassiné Jacklyn Richmond, vous imaginez, chers lecteurs, dans quel état je commençai la rédaction du tome 2.
Mais je fis le vide, et m’attelai à la tâche. Ayant, comme je l’ai déjà écrit plus haut, fait un plan précis de mon récit, je savais parfaitement où j’allais, et la rédaction de la suite du « roman de l’été » fût bouclée en trois semaines intenses, mais prolifiques.

Les mystères de Manderbly 2 : Retour à Sunset Beach sortit pour les vacances de Février.
Ce fut, la aussi, un succès prodigieux.


16
La sortie du tome 2 donna lieu, une fois de plus, à des scènes hallucinantes d’hystérie collective.
Jean-Daniel, pour préserver jusqu’au bout l’identité du meurtrier, avait veillé à ce que le livre soit distribué simultanément dans tous les pays. Les millions d’exemplaires sortirent des imprimeries du monde entier le même jour et furent acheminés par camions, par trains, bateaux et avions jusqu’aux lieux de vente sous bonne garde. Pour éviter à des personnes malveillantes de révéler le nom de l’assassin sur le net et mettre prématurément fin au suspens, le tome fut vendu sous blister en plastique et les critiques, mécontents, n’eurent pas droit à leur exemplaire.
Le public se rua en masses dans les « Temples De La Consommation » qui vendaient le roman. Le jour J, les fans transis firent la queue dès minuit devant les librairies du monde entier. Dès les levers de rideaux de fer, ce ne furent que bousculades, ruades, hurlements, tirages de cheveux et coups de pied dans les tibias. Il y eut plusieurs blessés. Des gens s’évanouissaient. Une caissière, qui n’allait pas assez vite, fut giflée. Un magasin qui n’avait pas commandé assez d’exemplaires pour tout le monde fut incendié. Les Editions Jean-Daniel furent submergées de nouvelles plaintes, mais n’en avaient cure : l’argent gagné avec ce nouveau tome couvraient plusieurs millions de fois les frais de justice.
Personnellement, je trouvai l’engouement porté à Manderbly totalement dingue. Madeleine Vanderbilt atteignait le statut d’icône sacralisée et je vous assure, chers amis, qu’à ce moment-là, si elle avait créé sa propre secte, elle aurait été le nouveau messie.
J’étais ravi par ce nouveau triomphe mais, encore une fois, je ne pus goûter pleinement à mon bonheur : le pseudonyme derrière lequel j’étais dissimulé et qui s’arrogeait mon travail commençait à me peser. Je commençais à haïr Madeleine Vanderbilt. De plus, l’attitude qu’avait eue mon éditeur à l’occasion du « procès Moileux » me rendait le succès amer.

Cela dit, non seulement le tome 2 s’arrachait mais, de plus, les lecteurs l’adoraient. La joie de découvrir enfin l’identité du meurtrier de la belle Jacklyn Richmond (contre toute attente, c’était le majordome) leur fit pousser de grands cris d’allégresse. Ils étaient positivement ravis, enchantés, émerveillés. J’en fus très fier. D’autant plus que l’histoire était relancée par de nouveaux rebondissements qui mèneraient mes fans jusqu’à un troisième tome. Jugez-en : Perry Woodward, héros positif de ma saga et qui, rappelez-vous, s’était accusé du meurtre en plein autel, Perry Woodward, pensant que l’assassin n’était autre que son alcoolique mais non moins sympathique sœur et voulant par cette action la protéger, Perry Woodward, donc, se retrouvait malencontreusement dans un coma à durée indéterminée suite à la tentative d’assassinat orchestré par le méchant majordome sur sa personne. La pauvre Lana Moore, fiancée malchanceuse de Perry, se trouvait encore une fois fort déconfite tandis qu’Afton Woodward, fille aînée du héros persuadée que sa mère disparue mystérieusement vingt ans auparavant avait été assassinée, se promettait de venger sa mort. Quant à Blade, le fils aîné de Perry, il venait d’engager un procès contre son ex-épouse, l’évanescente Chanel pour obtenir la garde de leur fils Jason. Nous nagions, une fois de plus, en plein drame. Le public adorait.

Moi, je reprenais le chemin des studios et des interviews, toujours au nom et à la place de Madeleine Vanderbilt. L’hystérie médiatique autour de sa personne ne retombait pas, bien au contraire. Plus que jamais, la foule voulait connaître l’auteur secret, voulait pouvoir la toucher, même du bout du rêve. Je fus donc chargé par mon éditeur de livrer en pâture les quelques éléments qui avait été inventés et faisaient de mon faux double un être de chair et de sang, et je livrai à une foule heureuse quelques secrets sur l’auteur de Manderbly, avouant par exemple son sexe, son âge, son admirable simplicité qui lui faisait acheter elle-même sa baguette de pain, lui donnant ainsi le corps et la personnalité qui faisaient dire au lecteur lambda, paraphrasant Flaubert : Madeleine Vanderbilt, c’est moi. Même si c’était moi.
La folle farandole  des autographes reprit à un rythme exponentiel, au point que mon éditeur dut engager des chômeurs en fin de droit pour parapher à ma place les centaines de demandes de signatures que le facteur déposait journellement au 21 de la rue de Fleurette. Ils eurent aussi à répondre aux nombreuses sollicitations des fans inondant régulièrement le site ouèbe www.manderbly.com de leurs questions sur la vie de leur autrice favorite ou sur le devenir des héros, fans souffrant mille morts à l’idée que la pauvre Lana Moore ne connaisse donc jamais le bonheur, fans anxieux à l’idée qu’Ashton Woodward n’apprenne jamais la vérité sur sa mère. La machine était bien huilée, et rien ne semblait devoir la gripper.

Un grain de sable, cependant, fit son apparition, annonciateur d’une tempête du désert à côté de laquelle les guerres Bushiennes allaient ressembler à une partie de campagne où tout n’est que jeux et ris.


17
Pour moi, ce matin-là, tout allait pour le mieux, autant que faire se peut. Je m’étais éveillé frais comme la rosée dans la chambre de l’appartement que je m’étais offert avec une partie des bénéfices que les impôts avaient bien voulu me laisser ce qui était encore beaucoup.
Après quelques exercices d’étirements (Levez, baissez, levez, baissez ; à présent, l’autre paupière), je me fumais mon premier café-clope de la journée en ouvrant mon courrier.
Quelques factures.
Une proposition d’abonnement au Nouvel Observateur.
L’Association des Artistes Handicapés Peignant avec les Pieds me sollicitant pour un don.
L’annonce fracassante et sensationnelle d’une société quelconque me félicitant d’avoir (presque) gagné 100 000 € (ou une voiture) (à condition de renvoyer un bon de commande dûment rempli).
Bref, rien de vraiment folichon.

Cependant, parmi tout ce fatras destiné à la poubelle jaune et tandis que j’avais une pensée émue pour tous les arbres abattus quotidiennement, une enveloppe attira particulièrement mon attention.
Mon nom et mon adresse y avaient été conçus avec des mots et des lettres en papier. J’eus une autre pensée émue, cette fois-ci pour les jeunes artistes qui, comme moi fut un temps, avaient une prédilection pour les découpages, et je ne m’étonnai pas de recevoir une lettre anonyme ; après tout, le succès de Madeleine Vanderbilt avait attisé pas mal de jalousie, et la pauvre femme, via les Editions Jean-Daniel, était régulièrement abreuvée de missives insultantes et mal orthographiées.
Mais, et cela me troubla dès que je m’en rendis compte, la lettre n’était pas destinée à cette brave Madeleine mais à moi, Bruno Bandini, et non pas au 21 de la rue de Fleurette, mais à ma nouvelle adresse.
Interloqué, je décachetai l’enveloppe. Et c’est avec effroi que j’en lus le contenu, rédigé à peu près comme ceci :



Était jointe à l’ignominie une photocopie du contrat que j’avais signé avec mon éditeur.
Je sentais mon sang se glacer à la vitesse d’un lévrier au galop. Je levai les yeux au ciel et suppliai, rageant, pleurant, tapant du poing sur ma jolie table neuve de chez Roche-Bobois, m’interrogeant sur ce que j’avais bien pu faire pour mériter ça, pour que cela m’arrive à moi, me demandant quelle était ma faute pour être puni de la sorte et subir une telle indignité.
Vraiment, la vie me semblait bien injuste.
Encore une fois, je me revis, debout sur mon balcon. Une fois de plus, je regrettai de ne pas avoir plongé.
Je sautai sur mon téléphone et appelai Maître Verdier, avocat à la cour de Paris pour lui faire part du ciel qui venait de me tomber sur la tête. Il m’intima de me calmer et d’appeler mon éditeur et la police malgré mes plus vives protestations. Mais, confiant, je m’exécutai.
Une heure plus tard, Verdier, De La Roche et plusieurs policiers en tenue ou en civil se retrouvaient chez moi, tentant de me consoler comme ils le pouvaient. Verdier fit promettre aux policiers la plus grande discrétion et une confidentialité absolue. De La Roche passa plusieurs coups de téléphone pour s’assurer que pareille lettre n’avait pas atterri chez Jean-Daniel. Pour ma part, j’étais assis sur mon beau canapé neuf de chez Roberto Ventura, la tête entre les mains.
- Nous vous assurons, me dit un policier en me mettant la main sur l’épaule, que nous prenons les affaires de chantage très au sérieux, Monsieur Vanderlard.
Je levai des yeux atterrés sur cet imbécile même pas fichu de prononcer mon pseudonyme correctement.
- Oui, Monsieur Debillois, renchérit un autre crétin bleu, nous ferons le maximum pour arrêter votre corbeau avant qu’il ne vous nuise.
Ainsi fut fait. Mon téléphone se retrouva mis sur écoute, et l’on  m’adjoint deux lieutenants chargés de me suivre en permanence et aussi discrètement que possible.

Cette nuit-là, je ne trouvai pas le sommeil. Je me tournai et me retournai dans mon futon tout neuf, en vain ; l’angoisse me taraudait trop. Je restai allongé dans l’obscurité, les yeux fixant les ombres du dehors dansant au plafond que je venais de faire repeindre en écoutant du Janis Joplin en boucle sur ma platine Bang et Olufsen.
Je réfléchissais à ma vie. Qui, surgi de mon passé, pouvait bien m’en vouloir au point de me faire cible d’un odieux chantage ? Qui pouvait me haïr, moi, la personne la plus affable que je connaissais ? Et surtout, qu’avais-je fait pour mériter un tel sort ? Je me mis à pleurer sur le mien, le bras couvrant mes yeux rougis, mon corps rongé par l’angoisse et secoué de sanglots.
Seul dans ma chambre vide, j’extrapolais alors sur mon futur que je voyais détruit, piétiné, réduit en cendres par la cruauté du monde et la méchanceté gratuite alors que tout ce que je voulais c’était que l’on m’aimât pour ce que j’étais, quelqu’un de bien, finalement, merde, quelqu’un de bon, de juste, de loyal.
Je sanglotai de plus belle, abattu par tant d’injustice tandis que Janis hurlait son Kozmic Blues à s’en péter la durite.

Le lendemain, je me levai tant bien que mal, les joues piquantes, les yeux cernés de toutes parts et une haleine à faire fuir une hyène scatophage. Je m’apprêtais à me faire un café dans ma cafetière Cona flambant neuve quand le téléphone sonna.
Ainsi, la fatalité a décidé de ne pas me laisser un instant de paix, pensai-je en soupirant. Quelle mauvaise nouvelle s’annonçait encore là ? Quel terrible coup du sort allait encore fondre sur ma pauvre petite personne ?
Ô, cruel destin, pensai-je encore, ne peux-tu pas t’acharner un peu sur quelqu’un d’autre ? N’as-tu pas d’autres cibles à cribler de tes flèches assassines ? Mais bordel, que faut-il que je fasse pour avoir enfin la paix que je mérite ?
Jurant comme un sauvage, je décrochai le combiné d’une main moite.
- Bandini ? Ici Verdier.
- Allez-y, Maître, soufflai-je, ne me ménagez pas et ne me cachez rien. De quelles horribles dépêches vous faites-vous le messager ?
- Heu, en fait, je vous appelle pour vous dire que votre maître chanteur a été retrouvé.
En un éclair, une foule d’images atroces s’imposèrent dans mon esprit fiévreux. Je savais ce que mon avocat voulait m’apprendre, je le sentais : mon corbeau avait été retrouvé mort, assassiné chez lui et, j’en étais sûr, tous les indices convergeaient vers moi. Je me vis, les menottes aux poignets, tout penaud, assis dans un tribunal entre deux policiers, condamné à vie pour un crime que je n’avais pas commis, clamant mon innocence tandis que les huissiers s’emparaient de mes biens et que ma chère famille en mourrait de chagrin.
Et si j’en faisais une pièce ?, me dis-je, incongrûment titillé par ma muse.
- Il se trouve, continua Verdier, que votre corbeau est l’une des secrétaires de votre éditeur. Il a été assez facile de remonter jusqu’à elle. Elle a été arrêtée, et elle a avoué.
- Déjà ? m’enquis-je.
- Déjà.
-…
-…
- C’est tout ?
- C’est tout.
Ô joie, ô délice ! pensai-je alors. Il existe donc bel et bien un Dieu bienveillant quelque part ! Que la vie était belle ! Qu’avais-je été stupide de m’inquiéter pour rien !
Je promis de brûler un cierge, et remerciai chaudement mon brillant avocat, le couvrant d’éloge et de lauriers. Il fit son modeste, me dit qu’il ne faisait que son travail et raccrocha vite car il devait voir les plans de sa nouvelle maison de campagne avec son architecte.
Je criai un youpi enjoué. Le soleil se levait, dardant ses rayons bienfaisants sur mon visage allègre. J’eus envie de sortir, de voir du monde, de profiter de cette journée qui s’annonçait des plus belles, riche de promesse de félicité, de gaieté et de rires.
Je pris à peine le temps d’enfiler un vieux jogging, attrapai mes clés et dévalai les escaliers pour me retrouver dans la rue, MA rue, l’une des plus jolies qui soient. Je décidai qu’aujourd’hui, rien n’entacherait mon bonheur, qu’aucune mauvaise pensée ne viendrait troubler la paix que je connaissais.
Tout à ma joie, je ne vis pas, caché derrière une poubelle jaune sur le trottoir d’en face, le paparazzo qui me mitraillait avec son appareil.

Six jours plus tard, je faisais la une d’un périodique à scandales.
« Madeleine Vanderbilt, c’est lui », titrait le magazine.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire